Boris Becker raconte comment le poker en prison l'a endetté auprès de dangereux criminels.
Publié le 27 Septembre 2025
Trois fois champion de Wimbledon, ancien numéro un mondial, figure emblématique du tennis des années 1980 et 1990 : Boris Becker semblait avoir tout vu dans sa carrière. Pourtant, rien ne l'avait préparé aux huit mois qu'il a passés dans une prison britannique, où une simple partie de poker s'est transformée en cauchemar et en dette envers des criminels endurcis. Cette révélation stupéfiante émane de son nouveau livre-mémoire Inside, dans lequel la légende allemande décrit avec une franchise brutale les conditions de détention qui "rongent l'âme et font bouillir l'esprit".
Pour un homme qui a côtoyé les têtes couronnées, fréquenté les palaces les plus luxueux et représenté l'une des plus grandes marques de poker au monde, la chute a été vertigineuse. Et tout a commencé par une décision qu'il qualifie lui-même de "stupide" : accepter une partie de poker avec des prisonniers roumains qui allait durer plusieurs jours et le laisser endetté de 500 livres sterling – une somme dérisoire pour l'ancien millionnaire, mais une fortune dans l'économie carcérale, suffisante pour mettre sa vie en danger.
De l'ambassadeur PokerStars à la cellule de Wandsworth
L'ironie de la situation n'échappe à personne. Boris Becker n'était pas un novice au poker. Bien au contraire. Après avoir raccroché sa raquette en 1999, l'Allemand s'était tourné vers le poker semi-professionnel, combinant cette passion avec des activités d'entraîneur de tennis et de consultant médiatique. De 2007 à 2014, il a représenté PokerStars, la plus grande plateforme de poker en ligne au monde, en tant qu'ambassadeur de marque.
Durant ces années dorées, Becker était un visage familier sur le circuit de l'European Poker Tour (EPT). On le voyait régulièrement aux tables des plus grands tournois européens – Monte-Carlo, Vienne, Prague, Barcelone – disputant des pots à six chiffres avec décontraction. Il maîtrisait les cotes, lisait les tells, gérait sa bankroll avec la discipline d'un athlète de haut niveau. Le poker n'était pas qu'un passe-temps pour lui ; c'était devenu une véritable seconde carrière.
Ses compétences au poker reflétaient d'ailleurs son approche du tennis : agressivité calculée, capacité à gérer la pression, lecture psychologique des adversaires. Les mêmes qualités qui lui avaient permis de remporter Wimbledon à seulement 17 ans en 1985 – le plus jeune champion de l'histoire à l'époque – lui servaient désormais aux tables de poker.
Mais en 2022, tout s'est effondré. Boris Becker a été condamné à deux ans et demi de prison pour avoir dissimulé des actifs et des prêts lors de sa déclaration de faillite de 2017. Le champion qui avait gagné des dizaines de millions de dollars durant sa carrière s'était retrouvé insolvable, criblé de dettes, et avait tenté de soustraire certains biens au contrôle judiciaire. Les tribunaux britanniques ne lui ont fait aucune grâce.
L'enfer de Wandsworth : quand la réalité dépasse les pires cauchemars
La prison de Wandsworth, dans le sud de Londres, est l'une des plus anciennes et des plus dures du Royaume-Uni. Construite en 1851, elle accueille aujourd'hui près de 1 600 détenus dans des conditions que les organisations de défense des droits humains dénoncent régulièrement. C'est dans cet environnement impitoyable que Boris Becker a découvert une réalité qu'il n'aurait jamais pu imaginer.
Dans son interview avec le magazine allemand SZ-Magazin, publiée pour promouvoir son livre-mémoire Inside, Becker décrit la prison comme un endroit qui "ronge l'âme et fait bouillir l'esprit". Ce ne sont pas là des métaphores dramatiques pour vendre un livre, mais le témoignage viscéral d'un homme profondément traumatisé par son expérience.
Sa cellule mesurait quelques mètres carrés à peine. Un lit de camp étroit équipé d'un matelas en plastique, des murs de béton suintant l'humidité, et des toilettes métalliques sans siège – voilà à quoi se résumait son espace de vie. Pour un homme habitué aux suites présidentielles et aux villas de luxe, le choc fut brutal.
Mais le pire n'était pas la promiscuité ou l'inconfort physique. C'étaient les cris. "Comme si les gens hurlaient pour sauver leur vie", raconte Becker. Ces hurlements déchiraient la nuit, inlassablement, créant une atmosphère de terreur permanente. Le sommeil devenait impossible. La santé mentale se détériorait jour après jour.
Le froid ajoutait à la torture. "En octobre, je dormais en survêtement et en chaussettes", confie-t-il. "Certaines nuits, il faisait si froid dans ma cellule que je dormais avec deux vestes et deux paires de chaussettes, avec une serviette enroulée autour de la tête." Le tennis professionnel exige une condition physique exceptionnelle, mais rien ne prépare à l'épreuve d'endurance qu'est l'incarcération. Becker a perdu sept kilos durant les quatre premières semaines – non par choix, mais par épuisement et privation.
La partie de poker qui a tout changé
Face à cet enfer quotidien, Becker cherchait désespérément des moyens de s'évader mentalement. Le poker, naturellement, lui semblait être une solution. Après tout, il avait passé des années à maîtriser ce jeu, à affronter les meilleurs joueurs d'Europe. Que pouvait-il se passer de grave dans une simple partie de cartes en prison ?
"J'avais joué au poker professionnellement après le tennis, alors je me suis dit : qu'est-ce qui pourrait mal tourner ?", explique-t-il avec le recul. Cette confiance, teintée d'arrogance, allait se révéler être une erreur monumentale.
La partie s'est organisée avec un groupe de prisonniers roumains. Dans l'univers carcéral, les nationalités forment souvent des groupes cohésifs, des mini-organisations qui se protègent mutuellement et opèrent selon leurs propres codes. Les Roumains de Wandsworth ne faisaient pas exception. Ils n'étaient pas là pour des délits mineurs – on parle de criminels endurcis, habitués à la violence et à l'intimidation.
La partie a duré plusieurs jours, un marathon de poker qui se déroulait dans les moments de liberté entre les appels, les repas et les contrôles de sécurité. Au poker, on dit qu'il y a toujours un pigeon à la table – et si vous ne savez pas qui c'est, c'est probablement vous. Dans ce cas précis, Boris Becker, malgré toute son expérience, était le pigeon.
Les règles du poker restent les mêmes partout, mais le contexte change tout. En prison, on ne joue pas pour le frisson ou le sport. On joue pour la survie, le respect, le pouvoir. Les enjeux psychologiques sont décuplés. Et surtout, les dettes de jeu ne sont pas de simples créances – ce sont des questions de vie ou de mort.
Quand la poussière est retombée, l'ancien triple champion de Wimbledon se retrouvait 500 livres sterling dans le rouge envers les Roumains.
Cinq cents livres : une fortune en prison
Pour comprendre l'ampleur du problème, il faut saisir l'économie carcérale. Dans le monde extérieur, 500 livres (environ 580 euros) représentent une somme modeste pour un ancien sportif qui a gagné des millions. Mais en prison, c'est une fortune colossale.
L'argent circule en prison, mais de manière détournée. Les détenus ne possèdent pas de liquidités. Les transactions se font via des "canteen credits" (crédits de cantine), des transferts d'argent arrangés par des complices à l'extérieur, ou des paiements en nature – cigarettes, nourriture, médicaments, protection. Cinq cents livres, dans ce contexte, équivalent à des semaines ou des mois de salaire carcéral.
Pire encore, refuser de payer une dette de jeu en prison est perçu comme un affront suprême, une insulte à l'honneur qui ne peut être lavée que par la violence. Les créanciers de Becker n'allaient certainement pas le laisser s'en tirer simplement parce qu'il était célèbre – au contraire, sa notoriété en faisait une cible encore plus tentante.
"Mais je jouais avec de vrais criminels, qui venaient dans ma cellule et me menaçaient si je ne payais pas", raconte Becker. Ces visites nocturnes dans sa cellule, ces menaces voilées ou explicites, ont transformé son séjour déjà difficile en cauchemar absolu. Chaque bruit de pas dans le couloir, chaque ombre à la porte de sa cellule déclenchait une montée d'adrénaline et de peur.
La prison possède ses propres règles de "justice". Les gardiens ne peuvent – ou ne veulent – pas toujours intervenir dans les conflits entre détenus. Les dettes de jeu relèvent de la "justice privée" carcérale. Becker se retrouvait pris au piège, sans protection, face à des hommes pour qui la violence était un mode de communication normal.
Le coup de fil salvateur
Désespéré, humilié, terrorisé, Boris Becker a fait la seule chose qu'il pouvait faire : supplier un ami à l'extérieur de le sauver. Ce coup de téléphone fut l'un des moments les plus difficiles de sa vie. L'homme qui avait conquis les plus grands stades du monde, qui avait incarné la fierté allemande, devait maintenant mendier de l'aide pour une dette contractée dans une stupide partie de poker.
L'ami en question – dont l'identité n'a pas été révélée – a accepté d'effectuer un virement d'argent pour régler les 500 livres. Le mécanisme exact reste flou (Becker ne détaille pas les modalités dans son interview), mais il existe des moyens pour transférer de l'argent au compte cantine d'un détenu ou pour effectuer des paiements via des intermédiaires.
Ce geste a probablement sauvé Becker de représailles graves. "Si mon ami ne m'avait pas aidé, je pense que je serais une personne différente aujourd'hui", confie-t-il. Cette phrase, volontairement ambiguë, laisse planer la menace de ce qui aurait pu se passer : violence physique, dette perpétuelle, ou pire encore.
Le soulagement d'avoir réglé la dette ne signifiait pas pour autant la fin du traumatisme. Le mal était fait. La confiance en soi de Becker avait été brisée. Son sentiment de sécurité, même relatif, avait disparu.
Les cicatrices invisibles : vivre avec le traumatisme carcéral
Boris Becker a été libéré en décembre 2022, après huit mois d'incarcération. Les autorités britanniques, suivant une pratique courante, ont réduit sa peine pour bonne conduite. Il est retourné en Allemagne, retrouvant sa famille, ses amis, sa liberté.
Mais la liberté physique ne signifie pas la liberté psychologique. "Vous ne vous débarrasserez jamais complètement de cette période", explique-t-il. "Vous emporterez la prison avec vous dans votre nouvelle vie. Je ne peux m'endormir que si la porte de ma chambre est complètement fermée."
Ce détail apparemment anodin révèle la profondeur du traumatisme. En prison, une porte ouverte signifie vulnérabilité, danger, intrusion possible. Le cerveau de Becker, même dans la sécurité de sa maison, reste en mode survie. Le simple fait de dormir nécessite désormais un rituel rassurant – une porte fermée symbolisant un contrôle, une barrière contre le monde extérieur.
Les psychologues spécialisés dans le syndrome post-traumatique des détenus reconnaissent ces symptômes : hypervigilance, troubles du sommeil, flashbacks, besoin compulsif de sécurité. Le taux de PTSD (trouble de stress post-traumatique) chez les anciens détenus est significativement plus élevé que dans la population générale.
Les cris nocturnes qu'il entendait à Wandsworth résonnent probablement encore dans sa mémoire. Le froid glacial de sa cellule, les menaces des créanciers roumains, l'humiliation de devoir implorer de l'aide – tout cela reste gravé dans son esprit.
Le poker en prison : une réalité complexe et dangereuse
L'histoire de Boris Becker met en lumière un aspect méconnu de la vie carcérale : le jeu. Le poker et d'autres jeux de hasard sont officiellement interdits dans la plupart des prisons, mais ils y prospèrent néanmoins. Les cartes circulent, les paris se font, les dettes s'accumulent.
Plusieurs facteurs expliquent la prévalence du jeu en prison :
L'ennui chronique est le premier moteur. Les détenus passent des heures, des jours, des mois avec très peu d'activités stimulantes. Le poker offre une échappatoire mentale, un défi intellectuel dans un environnement d'abrutissement.
La structure sociale du poker reflète et renforce les hiérarchies carcérales. Les gagnants gagnent en prestige, les perdants perdent en statut. Une partie de poker devient un microcosme de la société pénitentiaire, avec ses alliances, ses trahisons, ses démonstrations de pouvoir.
L'économie souterraine s'appuie largement sur le jeu. Les dettes de poker créent des rapports de dépendance, permettent de blanchir des "actifs" carcéraux, et facilitent le commerce illégal de biens et services.
L'excitation et le risque apportent une adrénaline rare dans le quotidien monotone de la prison. Pour certains, risquer quelque chose – même quelque chose de modeste – procure un sentiment d'être vivant, de reprendre un semblant de contrôle sur sa vie.
Mais le jeu en prison comporte des dangers spécifiques que les joueurs du monde libre ne peuvent imaginer. Les dettes ne peuvent pas être simplement oubliées ou négociées. Il n'existe aucun recours légal, aucune protection. La violence est le moyen d'exécution habituel.
Des témoignages d'anciens détenus décrivent des cas où des dettes de jeu ont mené à des agressions, des viols, des meurtres même. La dette devient un outil de contrôle : le débiteur est forcé d'effectuer des tâches pour son créancier – transport de drogue, agressions commanditées, services sexuels.
Boris Becker a eu de la chance. Sa notoriété l'a peut-être protégé des représailles les plus extrêmes. Mais des milliers de détenus anonymes vivent ce cauchemar sans filet de sécurité.
Leçons pour l'industrie du jeu et la société
L'expérience traumatisante de Boris Becker offre plusieurs enseignements précieux, tant pour l'industrie du poker que pour la compréhension du jeu problématique :
Le contexte est tout. Becker possédait des compétences objectives au poker, développées sur des années et aux plus hauts niveaux. Mais ces compétences sont devenues inutiles – voire dangereuses – dans un environnement où les règles non écrites importent plus que la stratégie de jeu. Cela rappelle que le "gambling literacy" (la littératie du jeu) ne suffit pas si on ne comprend pas le contexte social et les conséquences potentielles.
La vulnérabilité ne connaît pas de statut. Même un champion du monde, une célébrité internationale, peut se retrouver piégé par une mauvaise décision de jeu. L'addiction au jeu et les comportements à risque touchent tous les milieux sociaux. L'industrie du jeu responsable doit reconnaître cette réalité universelle.
Les environnements à haut risque nécessitent des protections spéciales. Les prisons, les casinos, les plateformes en ligne sans régulation – tous créent des contextes où le jeu peut devenir pathologique. Des mécanismes de protection, d'éducation et d'intervention sont essentiels.
Le trauma du jeu est réel et durable. L'histoire de Becker ne s'est pas terminée quand il a payé sa dette. Les cicatrices psychologiques persistent. L'industrie du jeu et la société doivent mieux reconnaître et traiter les traumatismes associés aux expériences de jeu négatives.
La rédemption et la reconstruction
Depuis sa libération, Boris Becker tente de reconstruire sa vie et sa réputation. La publication de son livre-mémoire Inside représente une étape dans ce processus. En racontant son expérience avec franchise, en avouant ses erreurs, il cherche peut-être une forme de catharsis.
Le monde du tennis l'a partiellement réhabilité. Il travaille à nouveau comme consultant et commentateur pour des médias allemands. Mais l'ombre de la prison et de ses erreurs financières le suivra probablement toujours.
Pour l'industrie du poker, l'histoire de Becker soulève des questions inconfortables. PokerStars et d'autres plateformes utilisent des célébrités pour normaliser et glamouriser le poker. Mais que se passe-t-il quand ces ambassadeurs – souvent des personnes habituées au risque et à l'adrénaline dans leur carrière principale – développent des comportements de jeu problématiques ?
Plusieurs anciens sportifs devenus ambassadeurs de marques de poker ont connu des difficultés : faillites, addictions, scandales. La transition du sport de haut niveau vers le poker professionnel ou semi-professionnel n'est pas aussi simple qu'il y paraît. Les compétences ne se transposent pas automatiquement, et la pression psychologique du jeu d'argent diffère fondamentalement de celle de la compétition sportive.
Conclusion : quand la légende rencontre la réalité
L'histoire de Boris Becker jouant au poker avec des criminels roumains dans une prison britannique semble presque trop invraisemblable pour être vraie. Pourtant, elle l'est. Et elle résume parfaitement la chute vertigineuse d'un homme qui avait tout – gloire, fortune, respect – et qui a tout perdu par une série de mauvaises décisions.
De l'adolescent prodige triomphant sur le gazon de Wimbledon à l'ambassadeur PokerStars fréquentant les plus grands tournois, jusqu'au détenu terrifié devant des créanciers menaçants : le parcours de Becker est une parabole moderne sur l'orgueil, la vulnérabilité et les dangers du jeu dans les mauvaises circonstances.
Sa confession – "J'avais joué au poker professionnellement après le tennis, alors je me suis dit : qu'est-ce qui pourrait mal tourner ?" – devrait résonner comme un avertissement. L'expertise dans un domaine ne garantit pas le succès dans un autre, surtout quand les règles du jeu changent radicalement.
Aujourd'hui, Boris Becker dort avec la porte fermée, portant encore les chaînes invisibles de son incarcération. Il emporte la prison avec lui, comme il le dit, dans sa nouvelle vie. Cette image mélancolique d'un champion endormi derrière une porte close, hanté par des souvenirs de cris nocturnes et de menaces murmurées, nous rappelle que certaines parties de poker se paient bien plus cher qu'on ne l'imagine.
Le poker, que ce soit sur les feutres verts de Monte-Carlo ou dans la cellule glacée de Wandsworth, reste un jeu où les enjeux peuvent dépasser de loin les simples jetons sur la table. Pour Boris Becker, cinq cents livres ont coûté une partie de son âme – un prix qu'aucune victoire future ne pourra jamais compenser.
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