Le casino de la Forêt : quand Le Touquet révolutionna l'histoire des jeux en France

Publié le 2 Septembre 2025

Le casino de la Forêt : quand Le Touquet révolutionna l'histoire des jeux en France

Au cœur de la Côte d'Opale, là où la mer du Nord vient caresser les dunes picardes, se cache une histoire fascinante qui a marqué à jamais l'industrie française du jeu. Le Touquet-Paris-Plage, cette station balnéaire née de l'audace d'un notaire parisien, abrite en effet le casino qui devint, en 1927, le premier de France par ses revenus exceptionnels.

Les origines d'un domaine extraordinaire

L'histoire commence bien avant les fastes des Années folles. En 1837, Alphonse Jean-Baptiste Daloz, notaire parisien de 37 ans, prend une décision qui changera le visage de la côte nord de la France. Pour la somme considérable de 150 000 francs, il acquiert 1 600 hectares de garennes dunaires sauvages à l'embouchure de la Canche. Ce territoire désolé, battu par les vents et les embruns, ne laisse alors rien présager de son destin glamour.

Daloz entreprend une transformation colossale : de 1855 à 1882, il plante plus de 800 hectares de pins maritimes, de peupliers et d'aulnes. Cette forêt artificielle, véritable prouesse technique pour l'époque, stabilise les dunes et crée un environnement unique en Europe, mêlant l'intimité sylvestre à la majesté marine.

En 1864, le notaire se fait construire un "grand chalet" qu'il appelle simplement "le château". Cette demeure en bois, érigée à l'emplacement de l'actuel Palais de l'Europe, devient le cœur de ce domaine en devenir. C'est là que Daloz reçoit ses amis parisiens pour des parties de chasse mémorables dans sa forêt nouvellement créée.

La naissance de Paris-Plage

Le destin du Touquet bascule en octobre 1874, lors d'une partie de chasse qui restera dans les annales. Hippolyte de Villemessant, directeur-fondateur du Figaro, accompagne Daloz dans sa forêt. Émerveillé par ce paysage qu'il qualifie d'"Arcachon du Nord", le journaliste visionnaire souffle à son ami une idée révolutionnaire : transformer ce domaine en station balnéaire pour les Parisiens et l'appeler "Paris-Plage".

L'idée fait son chemin. En 1882, Alphonse Daloz lance le premier lotissement, confiant les plans au géomètre Raymond Lens. Le nom "Paris-Plage" n'est pas choisi au hasard : il traduit l'ambition de créer un lieu de villégiature élégant pour la bourgeoisie parisienne, loin de l'agitation de la capitale mais sans renoncer à son raffinement.

Les premières constructions voient rapidement le jour : "La Vigie" et "L'Avant-Garde", deux chalets construits par Henri Saumon, donnent le ton architectural de cette station naissante. L'année 1882 marque véritablement la naissance de la station avec ses 30 premiers habitants.

Pierre de Coubertin et la révolution sportive

Après la mort d'Alphonse Daloz en 1885, le domaine connaît plusieurs transformations. En 1903, le château devient l'hôtel de la Forêt, mais c'est en 1904 qu'intervient un personnage clé de l'histoire française : Pierre de Coubertin.

Le père des Jeux olympiques modernes, alors directeur des sports de la station de 1903 à 1905, transforme le château en "Château des Sports". Cette initiative s'inscrit parfaitement dans sa philosophie éducative : promouvoir l'éducation physique et démocratiser la pratique sportive. Le Touquet devient alors un laboratoire de ses idées progressistes sur le sport.

Coubertin, qui venait de relancer les Jeux olympiques en 1894 et présidait le Comité international olympique depuis 1896, voit dans cette station balnéaire l'opportunité de créer un modèle de développement sportif. Son passage au Touquet témoigne de sa vision internationale du sport et de son désir de l'ancrer dans la société française.

L'âge d'or du casino de la Forêt

En 1907, le château devient casino, mais c'est sa reconstruction complète en 1913 qui marque le véritable début de sa légende. Confié à l'architecte Auguste Bluysen, spécialiste du style anglo-normand, le nouveau casino de la Forêt impressionne par son élégance et ses dimensions.

Le bâtiment, inauguré en partie en 1913, ne trouve sa forme définitive qu'en 1927 avec l'achèvement du "grand restaurant de la Forêt" conçu par l'architecte Raoul Jourde. La décoration intérieure, œuvre de Jan Lavezzari et Francis Tattegrain, mélange style Louis XVI et influences anglo-saxonnes, créant une atmosphère unique en Europe.

Le casino propose alors une gamme complète de divertissements : salle de théâtre, salle de danse de style Louis XVI, deux salles de baccara, salle de petits chevaux, bar américain et dancing-room. Cette diversité en fait bien plus qu'un simple casino : c'est un véritable palais du divertissement.

1927 : l'apogée d'un empire du jeu

L'année 1927 marque l'apogée du casino de la Forêt. Avec plus de 45 millions de francs de bénéfices, il devient officiellement le premier casino de France, titre qu'il conserve en 1928 avec un bénéfice record de 58 millions de francs. Ces chiffres astronomiques témoignent de l'extraordinaire succès de l'établissement.

Cette réussite s'explique par plusieurs facteurs. D'abord, la clientèle exceptionnelle : l'aristocratie britannique, attirée par des jeux interdits outre-Manche, fait du casino sa destination privilégiée. Le prince de Galles, futur Édouard VIII, est régulièrement aperçu autour des tables de baccara, donnant à l'établissement une aura internationale.

La haute société parisienne, les célébrités du théâtre et du cinéma fréquentent assidûment les salons feutrés du casino. Cette mixité sociale chic, unique en Europe, fait du Touquet le rendez-vous incontournable de l'élite internationale.

L'innovation au service du luxe

Le Casino de la Forêt révolutionne l'expérience du jeu en France. Son architecture anglo-normande, sa décoration raffinée et ses services haut de gamme établissent de nouveaux standards pour l'industrie française du divertissement.

L'établissement propose des innovations remarquables pour l'époque : un bar américain, concept encore rare en France, une dancing-room où se mélangent aristocrates et artistes, et surtout une galerie-portique abritant un kiosque à musique qui anime les soirées de la station.

Cette approche globale du divertissement, mêlant jeux, gastronomie, spectacles et musique, influence durablement la conception française du casino moderne. Le Touquet invente une nouvelle manière de concevoir le loisir aristocratique.

Une clientèle d'exception

La réussite du casino tient aussi à sa capacité à attirer une clientèle fortunée et cosmopolite. Les liaisons aériennes, développées dès 1920 depuis l'aérodrome du Touquet, permettent aux riches Britanniques de rejoindre rapidement la station. Ces "baptêmes de l'air" à 50 francs deviennent une attraction supplémentaire.

L'hôtellerie de luxe accompagne cette montée en gamme : l'Hermitage-Hôtel, l'Atlantic et le Grand Hôtel accueillent une clientèle internationale habituée au raffinement. Cette synergie entre hébergement, transport et divertissement fait du Touquet un modèle économique précurseur.

Les journaux mondains de l'époque, comme "Les Échos mondains du Touquet-Paris-Plage", témoignent de cette effervescence sociale. La station devient un théâtre de la mondanité européenne, où se côtoient industriels, artistes et nobles de tous pays.

Les Années folles : un succès fulgurant

Les années 1920 marquent l'apogée du casino. Dans une époque d'insouciance et de prospérité retrouvées après la Grande Guerre, Le Touquet incarne parfaitement l'esprit des "Années folles". Le casino devient un symbole de cette joie de vivre et de cette soif de plaisirs.

La croissance des revenus est spectaculaire : de 472 289 francs en 1912, les gains atteignent 45 millions en 1927, soit une multiplication par cent en quinze ans. Cette progression fulgurante témoigne de l'évolution sociologique de la France d'après-guerre et de l'émergence d'une nouvelle bourgeoisie avide de distractions.

Le personnel du casino, formé aux standards internationaux, contribue à cette réputation d'excellence. Les croupiers, sélectionnés pour leur prestance et leur maîtrise des langues, accueillent une clientèle exigeante dans un cadre somptueux.

Un modèle européen

Le succès du Casino de la Forêt dépasse les frontières françaises. Considéré comme "l'une des plus importantes salles de jeux d'Europe" avant la crise de 1929, il inspire d'autres établissements et contribue à établir la France comme destination de choix pour le tourisme de luxe.

Cette réussite influence même la littérature : Ian Fleming s'inspire du casino du Touquet pour son célèbre roman "Casino Royale", immortalisant ainsi l'atmosphère unique de cet établissement légendaire.

L'héritage d'une innovation

La crise de 1929 met brutalement fin à cette époque dorée, mais l'héritage du casino de la Forêt perdure. Son modèle économique, mêlant jeu, gastronomie, spectacle et tourisme haut de gamme, devient la référence pour les casinos français.

Aujourd'hui, l'ancien casino abrite le Palais de l'Europe, centre de congrès international, perpétuant ainsi sa vocation de lieu de rencontres et d'échanges. Les jardins à la française qui l'entourent, entretenus selon les techniques versaillaises, rappellent le faste d'antan.

Cette transformation d'un domaine sauvage en destination internationale illustre parfaitement l'esprit d'entreprise français de la Belle Époque. L'histoire du casino du Touquet, de sa création visionnaire par Alphonse Daloz à son triomphe sous Pierre de Coubertin, demeure un chapitre fascinant de l'histoire du divertissement et du tourisme français.

Le casino de la Forêt n'était pas seulement le premier casino de France par ses revenus : il fut le symbole d'une époque où l'audace, l'innovation et l'art de vivre français rayonnaient sur l'Europe entière.

Sources principales :

  • Archives départementales du Pas-de-Calais

  • Chronologie du Touquet-Paris-Plage (Wikipedia).

  • Casino de la Forêt (Wikipédia).

  • J. Chauvet, C. Béal et F. Holuigue, "Le Touquet-Paris-Plage à l'aube de son nouveau siècle 1882-1982", Éditions Flandres-Artois-Côte d'Opale, 1982

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article